Exposition
de
Catherine DAVID
Baptisée « Objets inanimés... », cette exposition propose aux regards des images de poupées, ou objets dits « anthropomorphes », dont les diverses apparitions nous interrogent sur la fragilité de notre propre condition humaine et sur une société de consommation qui recale sans état d’âme les objets que le vert paradis de l’enfance avait choisis entre tous.
Objets inanimés…
Les poupées sont des objets singuliers. Tout d'abord parce que, contrairement aux autres objets, elles ont un regard, ou une sorte de regard qui leur confère une présence au monde. Si l’apparition de la vie a le pouvoir d’intensifier l’univers à l'endroit même où cette apparition se produit, la présence de l’objet anthropomorphe (qui a forme humaine) intensifie à sa manière l’espace. Il habite l’espace par le jeu du regard, mais aussi par la position du corps, par un geste, une certaine attitude qui nous renvoient à nos propres manières d’être au monde.
Ces objets singuliers, chargés d’une « inquiétante étrangeté » selon l’expression freudienne, habitent notre salon, notre jardin, et plus communément la chambre de l’enfant. Cette chambre, la poupée l’occupe d’une manière doublement singulière puisque l’enfant place en elle une part plus ou moins grande de son affection, de son amour. La poupée fait l’objet d’une attention particulière et sa matière inanimée puise dans ces sentiments enfantins si simples, si neufs, quelque chose d’une vibration, à l’image de ces statues de dieux hindous auxquelles on insuffle la vie lors d’une cérémonie rituelle, ou des images des dieux d’Égypte que les dieux réels habitaient pour de bon au plus sombre des temples, et qu’il fallait pour cette raison nourrir, habiller et parfumer quotidiennement comme des êtres de chair.
Or ces poupées saisies au détour de vide-greniers, de brocantes, de bourses aux jouets, sont des objets qui furent délaissés, abandonnés. Un beau jour, l’enfant n’a plus posé sur elles de regards tendres, de mains attentionnées. Et elles sont mortes de cet abandon, de cet oubli. Elles ont perdu « Le petit prince » qui les avait apprivoisées, comme le renard dans le conte de Saint-Exupéry. L’abandon de la poupée, c’est la magie de l’enfance qui s’envole.
Ces poupées semblent vouloir nous confier à l’oreille leur histoire, ayant de fait un passé plus riche, plus tourmenté que les objets à côté desquels elles patientent ; elles semblent nous appeler, nous retenir. Quelque chose demeure emprisonné dans l’épaisseur de leur matière, dans l’éclat voilé et souvent triste du regard.
Certaines images nous parlent aussi de notre société de consommation qui destine au rebut jusqu’aux objets qui nous furent les plus chers, jetant au néant, dans le même élan cynique, les verts paradis de l’enfance. Ils sortent des chaînes de fabrication industrielle pour rejoindre les rayons de la grande distribution, puis les mains de l’enfant, puis le trottoir des vide- greniers. Une vie en somme, presqu’un destin, une fragilité qui, bien sûr, nous renvoient à notre propre fragilité, à notre propre vie.
Les bébés en peluches des fêtes foraines de Saint Gal n’ont pas encore connu l’amour. Ils n’ont pas encore rencontré leur Petit Prince. Mais qui ne lirait dans leur regard la peur, une certaine appréhension de ce qui les attend au dehors, lorsque le grappin les aura saisis pour les expédier dans l’autre monde, dans notre monde ? Virgile a écrit dans l’Enéide « Il y a des larmes dans les choses ». Il y a des larmes dans ces objets inanimés, dans ces natures mortes presque vivantes, dans ces images silencieuses qui ont tant de choses à nous dire.
Catherine DAVID